Une femme de courage met fin à plusieurs décennies de calvaire
Tshikapa, République Démocratique du Congo – « Il m’a battue pendant 30 ans. Parfois quand j’y repense, et je me demande comment j’ai pu survivre à cela. »
Patricia*, 52 ans, résidant à Tshikapa dans le Kasaï, se remémore les années sombres qu’elle a vécues et la violence qu’elle a subie aux mains de celui qu’elle pensait être son partenaire pour la vie. « Au départ, ce n’était pas ainsi. Mais il a commencé à boire et à rentrer à la maison ivre et là il n’arrivait plus à se contrôler. Il a commencé à me battre et au fur et à mesure, c’est devenu la norme : il me battait à tout moment, même devant nos enfants. Souvent la nuit, il fermait la porte de la maison et m’interdisait l’accès m’obligeant à rester dehors. Il n’a jamais arrêté de me maltraiter et de m’humilier, malgré les nombreuses médiations de nos familles. Même nos enfants ne cessaient de me supplier de m’en aller. Cela a été difficile pour moi. »
De guerre lasse, Patricia s’est tournée vers le Centre d’Appui au Développement de la Femme en Action (CADEFA) pour obtenir de l’aide. Basée à Tshikapa et dirigée par Julienne Lombe, l’ONG appuie les femmes victimes de violences dans la région du Kasaï. En échangeant avec Patricia, Julienne a réussi à la guider pour se sortir d’une situation qui semblait sans issue.
En République Démocratique du Congo (RDC), selon l’Enquête Démographique et de Santé (EDS) de 2013-201452 % des femmes ont subi des violences physiques depuis l’âge de 15 ans. 68.2% des femmes ont vécu soit une violence physique, sexuelle et/ou affective dans le contexte de leur union, et 13 % des femmes enceintes ont vécu des violences pendant la grossesse. L’aggravation de la situation humanitaire dans le pays avec les conflits et les déplacements d’une grande partie de la population, ainsi que les multiples épidémies dont le virus Ebola, la rougeole, la méningite, la COVID-19, ont de plus déstabilisé les structures sanitaires, impactant les femmes ayant vécu des violences basées sur le genre (VBG).
L’OMS appuie la réponse sanitaire inclue dans la réponse multisectorielle du gouvernement, comme l’explique la cheffe de Division spécifique au Programme National de Santé de la Reproduction au Ministère de la Santé publique, Dr Lily Mokako : « Sur orientation de l’OMS, nous avons actualisé la Stratégie nationale, les outils de formation et documents normatifs sur les VBG en intégrant notamment la violence perpétrée par le partenaire Intime. » L’appui reçu par l’Organisation comprend aussi le renforcement des capacités des acteurs de prise en charge des VBG qui sont mieux outillés sur le terrain, ainsi que le soutien de première ligne dans la prise en charge des femmes et filles victimes des violences sexuelles et violence par le partenaire intime. « La prise en charge est centrée sur la survivante », précise Dr Mokako.
De 2020 à mars 2021, près de 500 personnes ont été formées à Mbuji Mayi, Tshikapa, Kananga et Kinshasa, parmi lesquelles le personnel de santé, des acteurs de la société civile, cadres de la police et membres d’ONG. 38 cadres formateurs ont également été formés à Kinshasa du 17 au 21 Février 2020 Maria Caterina Ciampi, conseillère régionale sur les VBG en situations d'urgence pour l’OMS en Afrique, a conduit cette formation des formateurs : « Les personnes que nous avons formées sont en contact direct avec les femmes et les filles à risque et avec les survivantes. L’objectif pour nous était d’assurer une bonne mise en œuvre des recommandations, directives et outils techniques de l’OMS en situation de crise humanitaire à tous les niveaux du système de santé, surtout dans les provinces du Kasaï après la crise humanitaire de Kamwena Nsapu. »
Julienne Lombe a bénéficié de cette mise à niveau et pour elle, la différence est de taille : « Cela nous a permis de renforcer et de mieux structurer notre appui aux victimes de violences. Nous avons appris comment leur éviter de tomber dans le piège de la ‘toile d’araignée’, un concept qui a été illustré à travers un jeu de rôle montrant les obstacles et défis que la victime rencontre à cause du manque d’organisation des différentes structures de prise en charge. Ballottée d’une structure à une autre, elle finit par se retrouver enchevêtrée dans cette situation, ne sachant plus vers qui se tourner ou comment s’en sortir. A présent, notre appui est axé sur les besoins de la survivante et la structure de réponse a été simplifiée. »
L’amélioration notée dans la prise en charge des survivantes de violences concerne particulièrement l’aspect médical et psychologique de la réponse, comme l’explique Dr Bernadette Mbu, Conseillère nationale sur les VBG au Bureau de l’OMS en RDC : « Lors des formations, nous avons noté qu’un grand nombre de prestataires pensaient que les survivantes n’avaient pas forcément besoin d’un soutien psychologique. La vérité est toute autre car en plus des handicaps à vie et des blessures qui restent sur leurs corps, ces femmes continuent à vivre avec des traumatismes psychiques longtemps après les actes qu’elles ont subis. Nous nous réjouissons de constater que ce volet de la réponse s’est considérablement amélioré sur le terrain. »
Malgré ces avancées, de nombreux cas de violences conjugales sont passés sous silence. Toujours selon l’EDS, 49 % des survivantes n’ont pas recherché d’aide et n’en ont pas parlé à une tierce personne et 61,5 % des femmes trouvent justifiable qu’un mari ou compagnon batte sa femme ou compagne. Une situation qui désole Patricia : « Chez nous, les femmes souffrent énormément, mais elles ne parlent pas. Le tabou autour de la violence conjugale fait perdurer des situations intolérables et nos coutumes normalisent les violences infligées par le mari. »
Voulant donner en retour ce qu'elle a elle-même reçu, Patricia va à la rencontre d’autres femmes pour repérer celles qui vivent des situations de violences à domicile : « Je partage mon expérience avec elles et j’essaie de les aider. Je suis bien placée pour savoir que sans aide, on ne peut tout simplement pas s’en sortir ! » Elle savoure sa nouvelle vie après plusieurs décennies de calvaire : « J’ai enfin compris que ma vie a plus de valeur que de me sacrifier pour une personne qui était résolue à me détruire. J’ai une nouvelle vie, et elle me plait bien ! »
----------------------------------------
* Son nom a été changé
Communications Officer
WHO DRC
Tel : +243 81 715 1697
Office : +47 241 39 027
Email: kabambie [at] who.int (kabambie[at]who[dot]int)
Chargée de communication
Bureau Régional de l'OMS pour l'Afrique
Email: dialloka [at] who.int (dialloka[at]who[dot]int)