Le tabac est un poison dont on peut se débarrasser à force de volonté et de discipline personnelles
Bujumbura, 7h 06min ce 25 mai 2023. A peine monté dans le taxi que le chauffeur Edouard Ndihokubwayo me présente ses excuses pour l’odeur de la fumée de cigarette qui y fuse. « Je suis désolé pour le désagrément que pourrait vous causer cette odeur. Je viens juste de fumer une clope », s’en presse-t-il de me dire un tantinet gêné. Agé de 48 ans, Edouard fume depuis près de 30 ans. « Je sais que ce n’est pas bon pour la santé de fumer. A maintes reprises, j’ai tenté d’arrêter mais je n’y arrive pas. Pourtant la cigarette ne me fait aucun bien. Au contraire ! », se plaint-il. A ma question de savoir combien de cigarettes fume-t-il par jour, mon chauffeur de taxi du jour répond : « je brule jusqu’à 10 tiges par jour. C’est beaucoup et ça commence à affecter ma santé. Je tousse continuellement, je suis essoufflé au moindre effort et j’ai des courbatures à ne point en finir », confie Edouard. A travers ce témoignage, on se rend compte aisément que notre taximan de Bujumbura commence à ressentir les effets nuisibles de la cigarette sur son organisme. Car, comme le souligne Dr. Thierry SIBOMANA, pneumologue à l’hôpital KIRA dans la capitale économique du Burundi, « la cigarette est un poison. La consommation du tabac constitue une des causes de mortalité évitables dans le monde et dans notre pays. C’est un véritable problème de santé publique qu’il faut combattre avec engagement et la dernière rigueur », martèle Dr. SIBOMANA qui, regrettant l’absence sur le plan national de données épidémiologiques quant à la prévalence de la consommation du tabac au Burundi, vit au quotidien, de par ses patients les lourdes conséquences du tabac sur les plans sanitaire, social et économique. « Pour ce qui est de la santé, le tabagisme est à l'origine de multiples maladies que je peux classer en quatre catégories. En premier les cancers. Un cancer sur trois est dû au tabagisme. Le plus connu est le cancer du poumon (cancer broncho-pulmonaire), dont 90 % des cas sont liés au tabagisme actif. Mais d'autres cancers sont également causés par le tabac : cancers de la gorge, de la bouche, des lèvres, du pancréas, des reins, de la vessie, de l’utérus. A côté de ces types de cancer, nous avons d’autres pathologies respiratoires comme la broncho-pneumopathie chronique obstructive qui oblige le patient à tousser de façon interminable et qui connait un essoufflement permanent. En termes de maladies liées au tabagisme, il y a aussi l’asthme et les maladies cardiovasculaires. Le tabac est à l’origine des cardiopathies ischémiques (infarctus du myocarde ou crise cardiaque), l’hypertension artérielle, l’artérite, les accidents vasculaires cérébraux, etc. Chez la femme enceinte qui fume, le tabac est source de malformations congénitales, de retard de croissance chez le bébé et peut entrainer des fausses couches pour ce qui est de la femme elle-même », détaille le pneumologue.
Dr. Thierry SIBOMANA estime que les effets de la consommation du tabac sont alarmants au Burundi, tant 4 sur 10 patients qu’il reçoit, présentent des pathologies liées à la cigarette aussi bien chez les adultes souffrant de bronchite chronique, d’asthme, de maladies cardiaques, que chez les enfants manifestant des signes de diverses infections respiratoires récurrentes.
Pour faire face au fléau du tabagisme au Burundi, les autorités nationales ont mis en place plusieurs mécanismes. D’abord, le pays a ratifié la convention cadre le 22 novembre 2005, avec entrée en vigueur le 20 février 2006. Fort de cette ratification, des stratégies ont été mises en œuvre pour freiner l’ampleur du tabagisme dans le pays, comme l’explique Dr. David NZIRUBUSA, Directeur adjoint technique du Programme national intégré de lutte contre les maladies chroniques non transmissibles (PILMCNT) au niveau du Ministère de la santé publique et de la lutte contre le Sida (MSPLS). « Des ateliers de sensibilisation sur les méfaits du tabac auprès des décideurs politiques, administratifs religieux et sanitaires ont été menés ; le Gouvernement du Burundi a revu à la hausse les taxes passant de 83 % en 2011 à 200% en 2014 et a changé son système de taxation passant de la taxation ad valorem à la taxation spécifique à raison de 22 Fbu par tige. En 2018, il y a eu l’adoption de la loi anti-tabac qui a été incorporée dans le code de la santé publique. A tout cela s’ajoutent la mise en œuvre du projet d’ordonnance réglementant la commercialisation et la consommation du tabac et des produits du tabac, sans oublier diverses autres activités de sensibilisation sur les méfaits de la consommation du tabac et de l’exposition à la fumée du tabac, auprès du grand public et de groupes cibles, tels que la communauté, les leaders politiques administratifs, religieux et sanitaires », informe Dr. David NZIRUBUSA. Le Directeur adjoint technique du PILMCNT insiste aussi sur d’autres mesures prises par le MSPLS pour lutter contre le tabagisme au Burundi. Il s’agit notamment « d’instructions ministérielles relatives à l’exigence d’informations sanitaires sur les produits du tabac, l’interdiction de la vente des cigarettes aux enfants et dans certains lieux publics, l’interdiction de la publicité, la promotion et le parrainage par l'industrie de tabac et l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre le tabagisme (en 2015) », renseigne Dr. NZIRUBUSA.
Autant d’actions qui sont exécutées non sans le soutien des partenaires au développement dont l’Organisation mondiale de la Santé. En effet, pour aider le Burundi à mettre sa population à l’abri des conséquences découlant de la consommation du tabac, l’OMS accompagne le pays à travers multiples appuis techniques et financiers, notamment dans la mise en place du registre de lutte contre le cancer, l’élaboration des directives relatives à la lutte contre la consommation du tabac, l’adoption de la loi cadre de lutte contre le tabagisme, la réalisation d’enquêtes dans la population pour apprécier l’ampleur de l’usage du tabac au sein de la couche juvénile.
Cependant malgré ces efforts du Gouvernement et des partenaires, le phénomène de tabagisme prend de l’ampleur dans le pays. Une situation que le pneumologue Thierry SIBOMANA, explique par le fait que la population n’est pas suffisamment édifiée sur les méfaits du tabac. « Il y a un déficit en matière de sensibilisation de la population. Figurez-vous, quand j’explique à mes patients fumeurs les dangers auxquels ils sont exposés, ils sont étonnés parce qu’ils n’en savent pas grand-chose. Raison pour laquelle il faut accentuer les campagnes de sensibilisation à travers des séances renforcées d’information, d’éducation et de communication pour expliquer aux fumeurs et même aux non-fumeurs les dangers de la consommation du tabac, les pathologies qu’elle engendre et les conseiller sur les méthodes pharmacologiques et non pharmacologiques qui pourraient aider surtout les fumeurs à pratiquer le sevrage tabagique », indique le pneumologue. Ainsi, à l’occasion de l’édition 2023 de la Journée mondiale sans tabac, célébrée le 31 mai de chaque année, Dr. Thierry SIBOMANA lance un appel aux « accros » de la cigarette : « il n’est jamais tard d’arrêter de fumer. Il suffit seulement d’en avoir la volonté et faire preuve de discipline personnelle. Il n’y a aucun seuil au-dessous duquel fumer n’est pas dangereux. Arrêter de fumer et d’enfumer les autres pour avoir une bonne santé, car la cigarette est un poison qui tue », insiste le spécialiste des maladies du poumon dont l’appel va peut-être aider le chauffeur de taxi Edouard à prendre la décision d’abandonner la cigarette.